En France les premières études consacrées au
lobbying ont fait leurs apparitions dans les années 80. Avec notamment
l’ouvrage de J.A Basso consacré aux groupes de pression. L’auteur indique alors qu’il
s’agit d’un mode d’action réservé à la civilisation Anglo-saxonne et qu’il n’existe
rien de comparable en Europe continental, à l’institution du lobbyisme tel
qu’elle se pratique aux Etats-Unis par exemple.
Pourtant la situation a sensiblement évolué notamment
depuis 1978 et l’adhésion de la Grande-Bretagne, à mesure que le lobbying entrait
progressivement sur l’échiquier politique. Une entrée remarquée notamment au
niveau Européen, où il fait d’ailleurs l’objet d’incitations de la part d’une
Union en quête permanente de consultations et d’expertises.
Dans la revue Sciences Humaines le chercheur Xavier Molenat, auteur d’un article intitulé "lobbies et groupes de
pressions", définit le lobbying comme étant "l’action d’un groupe organisé qui vise à infléchir les politiques
publiques dans un sens favorable aux intérêts du groupe". Elle exclue
la participation aux élections et évoque l’emploi de moyens détournés pour
influencer le circuit décisionnaire. Cette définition englobe les organisations
d’actions collectives, comme les associations, mais aussi les mouvements
sociaux, les entreprises ou les acteurs individuels qui peuvent occasionnellement
adopter un comportement de groupe d’intérêt.
Cette définition permet de considérer la démarche plutôt que le degré
d’organisation de ces groupes et d’inclure plus que les seuls groupes
d’intérêts économiques.
Historiquement la France à une attitude méfiante concernant
les groupes d’intérêts. Les origines de cette méfiance remontent certainement à
la seconde moitié du XVIème siècle et aux principes du corporatisme. Elle
atteint son apogée à la Révolution où plusieurs lois viennent interdire la
création de ce que l’on appelle alors les "corps intermédiaire" entre le peuple et l’état. Ces corps qui selon Rousseau "entravent
l’expression de la volonté générale, qui ne saurait émaner que de la
délibération des citoyens". La plus emblématique de ces lois étant la Loi
Le Chapelier, votée en 1791 qui vise à interdire les coalitions des patrons au
même titre que celles d’ouvriers avec l’idée qu’ "il n’y a plus de
corporation dans l’Etat ; il n’y a plus que l’intérêt particulier de
chaque individu et l’intérêt général. Il n’est permis à personne d’inspirer à
un intérêt intermédiaire, de les séparer de la chose publique par un intérêt de
corporation."
Il faudra alors attendre 1884 et la Loi Waldeck-Rousseau
autorisant les syndicats, puis la loi de 1901 consacrant le droit d’association,
pour que les "corps intermédiaires" fassent à nouveaux leur entrée
dans le champs politique et social en France. Il est intéressant de noter que sous Vichy le gouvernement tentera de
rétablir les prérogatives corporatistes achevant ainsi sans doute d’associer
une connotation négative aux groupes d’intérêt.
C’est semble t’il le déclin de l’équilibre binaire
du système reposant sur le citoyen et ses représentants qui a précipiter
l’émergence de ce que E. Grossman qualifie de "système fonctionnel".
Déclin qui semble donc profiter aux modes d’actions des groupes d’intérêts. L’auteur
y voit d’ailleurs une tendance qui serait à l’origine d’une nouvelle
organisation politique. Une organisation qui prendrait ses racines et fonderait
sa légitimité sur des instances parallèles à celle institutionnalisé par le
système représentatif.
Un système dans lequel, d’une manière ou d’une
autre, des groupes n’ayant d’autres légitimités à exister que celle qu’ils se
confèrent, participent à la délibération publiques. Ces groupes contribuant à attirer l’attention
des pouvoirs publics sur tel ou tel sujet, participant à des manifestations ou
à des événements, créant les conditions
d’échanges citoyens, etc. Mais pouvant aussi prendre la forme d’un outil
d’influence professionnalisé. On peut d’ailleurs noté la création d’un
véritable marché du lobbying avec l’apparition d’agences spécialisées qui
disposent de moyens de plus en plus élaborés pour exercer leur influence.
Il existe des lobbies permanents et des lobbies
plus éphémères qui se forment et se délitent en fonction des besoins. On peut également
différencier les lobbies qui exercent leur activité ouvertement voir de manière
quasi institutionnelle et celles des groupes de pressions qui exercent leur
influence de manière plus détourné voir secrète et qui nourrissent certainement
la suspicion populaire à l’égard de ces modes d’actions. G. Lamarque, auteur
d’un ouvrage sur la question, dresse des distinctions qu’il juge fondamentales, entre différents types de lobbying.
Les Syndicats, ouvriers, ou patronaux, les
organisations professionnelles sont à ce titre "des organisations dont le lobbying est au moins une des finalités mais qui
réfutent la qualification de lobby au nom de sa connotation péjorative". Si
les syndicats ont longtemps étaient jugés comme nuisibles par l’état, ils
occupent aujourd’hui une place quasi officielle dans les institutions.
Parallèlement à leur mission de représentation des salariés ils exercent
certaines prérogatives de puissance publique. Puisqu’ils sont appelés à
participer aux concertations et aux débats dans le cadre de leur rôle de "partenaires sociaux".
Il
existe aussi des "personnes morales qui, sans être des lobbies, font du
lobbying à titre principal ou accessoire". Ce sont des structures contingentes du lobbying
qui prennent la forme de cabinets spécialisés. Ce sont par exemple des
consultants en management, en communication, en marketing politique ou des
avocats qui revendiquent une spécialisation en lobbying. On constate en effet
le développement d’un véritable marché du lobbying faisant appel à des
ressources et à un savoir-faire précis. Non pas concentré sur un secteur social
spécifique mais plutôt tourné vers une activité de lobbysme "pur" transversale. D’anciens négociateur, hommes politiques (Tony Blair, Bill
Clinton,…) ou hauts fonctionnaires trouvent dans le lobbyisme une opportunité
de reconversion professionnelle dans le secteur privé. Les lobbyistes professionnels étant le plus souvent des hommes de
relations publiques rompus à la négociation et qui disposent de sources
d'informations ainsi que d'appuis dans la plupart des centres de décision.
De telles activités sont cependant toujours
relativement réduites en France où les mentalités assimilent encore largement le
lobbying à la corruption et au trafic d’influence. Sans doute considéré à la limite de la
légalité car mal ou peu encadré par la législation. Elles existent toutefois mais
prennent souvent des formes plus détournées comme dans le cas des pôles de
compétitivité qui exercent bien souvent une activité de lobbying au moins à titre annexe.
Il
existe des "lobbies convaincu de faire du lobbying et dont on peut
estimer après examen qu’ils n’en font pas." C’est une situation particulière, celles des
réseaux d’anciens élèves de grandes écoles, des clubs de notables ou des
cercles de réflexions. La formation des
élites est en effet à l’origine de la création de véritables réseaux
d’influences. Pourtant faire partie d’un réseau ne signifie pas forcément
s’inscrire dans une activité de lobbying. Même si on constate souvent la
propension des élites administrative à investir différents centres du pouvoir. La forme particulière de
l’administration, hiérarchisé et divisé en corps, le contrôle démocratique et
l’interrelation des contres pouvoirs ne permet pas aux réseaux d’anciens élèves
de former une corporation uniforme et d’exercer une trop forte influence sur
les instances de l’Etat.
En fait ces formes de réseaux de ne correspondent
à l’action lobbyiste que dans la mesure où ils font en sorte de promouvoir les
intérêts de leurs membres en tissant des liens de solidarités professionnels
entre les anciens élèves ou entre les anciens d’une même organisation. Cela n’en fait pas des instances de lobby
permanentes mais plutôt des acteurs qui savent réagir avec efficacité à toute
remise en cause de leurs intérêts.
Le lobbying viserait donc à exercer une influence
dans tous les domaines de la société, politique, social et économique mais plus
encore il deviendrait partie intégrante du système politique.
L’exemple américain met les groupes de pressions à
la base de la vie politique. Dans ce système que l’on qualifie de "pluraliste" les phénomènes politiques sont compris comme des
phénomènes de groupes faisant pression les uns sur les autres, s’influençant
les uns les autres et produisant de nouvelles organisations et formes de
représentations afin de négocier des ajustements politiques. L’équilibre d’un
tel système serait alors assuré par le principe du "check and balance" qui empêcherait théoriquement la domination durable d’un groupe
par l’émergence permanente de nouveaux contre-pouvoirs, c’est à dire de groupes
en opposition au groupe dominant. Bien qu'il ne soit pas institutionnalisé de la sorte c'est, dans une certaine mesure, également l'idée sur laquelle semble reposer le système européen.
Cette vision de l'équilibre politique est proche
de la théorie libérale de l'auto régulation du marché économique. Le rôle de instances
dirigeantes est alors réduit à celui d'un bureau d’enregistrement des rapports
de force entre groupes d’intérêt. Le risque latent étant que les groupes plus
puissants l’emportent systématiquement sur les autres, ou encore que l'Etat
deviennent de plus en plus difficile à gouverner face aux injonctions
contradictoires émanant de la société.
L’exemple Allemand ou Autrichien est plus proche
d’un système que l’on peut qualifier de néo-corporatiste. Dans lequel les
individus font partie d’un nombre limité d’organisation auxquels l’adhésion est
obligatoire. Elles sont souvent crées et/ou légitimées par l’Etat qui leur
accorde un niveau de représentation dans les secteurs qui les intéressent en
échange d’un contrôle dans le processus de sélection de ses dirigeants et de la
formulation des demandes politiques que ces organisations véhicules.
L'influence des groupes d'intérêt concerne le plus
souvent, aux yeux de l’opinion publique, des enjeux économiques. Et de fait, la
crainte ou l'espérance de retombées économiques semble à l'origine de la
plupart des actions de lobbying. Car les groupes de pression ne sont pas des
services publics financés par l'impôt. Leurs interventions ont donc un coût qui
ne peut se justifier pour les adhérents du groupe que par les répercussions
attendues d'une décision publique. Ainsi les entreprises et les grands groupes
industriels, directement ou pas, engagent des actions de lobbying uniquement
parce qu'elles y voient le moyen d'améliorer leurs bénéfices, leurs conditions
d'existences sur le marché, ou seulement dans le but de faire disparaître une
menace pesant sur leurs intérêts économiques suite à une décision des pouvoirs
publiques.
Sur le plan social l’action des groupes d’intérêts
ce fait dans le cadre théorique d’une forme de démocratie associative qui fait
une large part à la concertation. Les associations assimilées à des groupes
d’intérêts peuvent alors contribuer à renforcer la souveraineté populaire et
l’égalité politique. Elles sont en mesure d’améliorer l’équité, la conscience
civique et finalement renforcer la légitimité des décisions prises par l’Etat.
Pourtant cet idéal semble loin d’être atteint. La difficulté provenant
essentiellement de l’extrême hétérogénéité de ces groupes à la fois dans
leurs formes, leurs organisations et dans leurs implications dans les rapports
du pouvoir. Leurs domaines de prédilections sont le plus souvent la défense de
l’emploi, la prise en compte des spécificités des secteurs pour lesquelles
elles agissent, la promotion de nouvelles politiques sociales ou leur
maintient. Des domaines qui impliquent donc également des conséquences
économiques.
Il existe un large éventail de moyens que ce
donnent les différents groupes d’intérêts pour parvenir à leur fin. La loi sur le Financement de la vie politique
voté en 1995 (qui interdit notamment le financement direct des campagnes
électorales par les entreprises) encourage d’ailleurs une diversification des
actions engagées notamment par certains grands groupes dépendant des commandes
publiques comme Bouygues (infrastructure) ou Dassault (armement).
Les actions de lobbying impliquent de nombreux
paramètres et sont par natures multi directionnelles. Elles peuvent ainsi agir
via la mobilisation des autorités, des médias, de l’opinion publique et des
sympathisants de la cause notamment à travers des protestations ou des manifestations.
La maitrise de la communication et un travail approfondis sur l'information sont des piliers du travail de
lobbying. A la fois par la prise d’information
direct sous la forme de veille stratégique, d’études scientifiques, de
sondages, la publication de livre blanc, etc. Mais aussi par l’usage de la
communication de masse dans le cadre de l’utilisation d’internet ou des médias
nationaux comme relais de revendication visant à emporter l’adhésion de
l’opinion publique.
Parmi la palette d'outils à sa disposition le lobbyiste peut aussi faire appel à la juridisation, c’est à dire à l'instrumentalisation du
pouvoir judiciaire pour la défense d’intérêts. La maitrise du droit étant bien entendu un élément essentiel considérant que, bien souvent, le rôle d'un lobby est de créer une nouvelle norme, de supprimer ou d’infléchir
une norme existante. L'analyse juridique est dès lors une condition
d'efficacité de l’action. En effet un lobby peut se contenter de présenter des
recommandations globales dépourvues de propositions concrètes mais la véritable
stratégie d’un lobbying efficace suppose plutôt que le groupe d'intérêt procède
à une mise en forme juridique de ses demandes. La plupart du temps c'est
l'apanage de puissantes institutions dont les collaborateurs doivent
parfaitement maîtriser les techniques et le langage de l'action administrative.
Qu'elles soient spectaculaires, ou plus discrètes
ces actions en appelle à un vaste réseau de soutiens ou à
défaut judicieusement employé ainsi qu'à des moyens financiers importants.
Mais ces modes d’actions interrogent également notre
conception de la démocratie et de ces deux éléments structurants que sont la
négociation et la consultation en posant une question essentielle. Comment les
citoyens moyens peuvent-ils espérer influencer la décision
publique et défendre leurs intérêts face à des organisations spécialisées mieux
structurées et mieux préparées ? Des organisations maitrisant l’ensemble des
outils évoqués plus haut. Deviendra t’il obligatoire au 21ème siècle
de participer à un groupe de pression ou à une association pour être considéré
et agir pleinement en tant que citoyen ? Que reste t’il entre le vote et
la protestation ? Le débat reste ouvert.