L’expression “droit d’ingérence” et plus
généralement la notion d’ingérence sont très largement employées depuis les
années 80. Elles servent à désigner tantôt des actions humanitaires, tantôt des
déploiements armés ou des sanctions politico-économiques, dans le cadre de
textes votés à l’ONU. L’idée s’incarne à
travers l’usage d’expressions très variées ; "devoir
d’ingérence", "assistance humanitaire", "droit
d’intervention" ou encore "ingérence humanitaire". Une
multiplicité qui contribue à créer une certaine confusion.
Le droit d’ingérence est issu de du droit
humanitaire, et alimentés par les droits de l’homme. Il est consacré dans les
tribunaux de la Haye, de Genève et de New-York. La norme morale international qui
en serait le fruit promeut l’individu au rang de patrimoine commun de
l’humanité, ne dépendant plus de la seule autorité de l’état auquel il est
assujetti.
Au sens commun l’ingérence désigne l’action
de s’immiscer indûment, sans en être requis ou, sans en avoir le droit dans les
affaires d’autrui. Le fait d’y associer le mot humanitaire visant à légitimer
l’action. L’ingérence au sens large peut être à la fois matérielle,
immatérielle, active et passive. Elle peut prendre la forme d’une intervention
physique, d’une pénétration non autorisé d’un territoire étranger par exemple.
Mais elle peut également s’exercer sous formes de pressions ou de prises de
positions plus ou moins directes dans les affaires d’un pays en vue de modifier
son équilibre :
.Démarches
diplomatiques (comme dans le cas des négociations successives entre Israël et Palestine),
.Sanctions
économiques (Iran, Corée du Nord, et plus récemment Russie),
.Mobilisations
médiatiques (Ukraine : Révolution Orange, Egypte : Révolutions Arabe),
.Droit d’asile offert aux opposants politiques
(Aung San Suu Kyi , Mikhail Khodorvoyski),
.Négociations via un tiers allié (Syrie via
la Russie, Corée du Nord via la chine).
Quant à l’expression et à l’idée de "devoir
d’ingérence", elle a été introduite en France en 1978 par Jean-François
Revel ainsi que par Bernard Kouchner et Mario Bettati dans un livre éponyme.
Selon ses derniers elle désigne une "attitude éthique" à destination
des populations civiles sous la forme d’une assistance humanitaire. Il
s’agissait à travers un titre tantinet provocateur d’analyser et de
commenter, notamment dans le cadre des activités de Médecin Du Monde, les
actions d’assistances aux peuples et les difficultés des associations à assurer
leur mission ; faute entre autre, de cadre juridique précis.
En théorie le droit d’ingérence est d’ailleurs
toujours, en soit, dépourvu de fondements juridiques. Il n’est justifiable que lorsqu’il
est accolé au terme humanitaire. Une action humanitaire visant à organiser le
respect de la personne humaine en cas de conflit armé. Il est souvent
confondu avec le droit d’assistance ou de secours encadré par la résolution
43/131 du 8 Décembre 1988. Résolution
qui n’a d’ailleurs pas d’effet contraignant et dont l’apport au droit ne
peut-être considéré autrement que comme une coutume. Au même titre donc, que le
principe de non-intervention. D’ailleurs si l’intervention humanitaire, au contraire
de la simple assistance, peut inclure le déploiement de forces de maintien de
la paix, celles-ci sont exclusivement attachées à protéger les actions
humanitaires elles-mêmes. Elles ne peuvent prétendre renverser un état
souverain quelque soit la situation politique à l’intérieur du pays. La charte
de L’ONU (article 2, paragraphe 7, alinéa 4) ainsi que le Déclaration de
L’Assemblée Générale des Nations-Unis de 1970 vont également dans ce sens.
Cette charte, ratifié par 189 états admet
qu’ "aucune disposition de la
présente (…) n’autorise les Nations-Unies à intervenir dans des affaires qui
relèvent essentiellement de la compétence nationale d’un Etat." En
dehors de l’application des mesures de coercition prévues plus loin au chapitre
VII, c’est à dire celle d’une "action
en cas de menace contre la paix internationale, et d’acte d’agression".
Suite aux événements du 11 Septembre 2001 à New-York l’idée de droit d’ingérence et en particulier les dispositions du chapitre VII ont vu leurs champs d’actions élargies et renforcées sous l’impulsion des Etats-Unis et avec le soutien d’une grande partie de la communauté internationale. Ce changement s’illustre dans les interventions menées en Afghanistan et en Irak et dans les discours du représentant Américain à l’ONU les 16 Mars et 8 Avril 2003. Discours au cours desquels le pays annonce sans détour son objectif ; le renversement du régime en place. Objectif qu’elle justifie en s’appuyant sur de supposés preuves d’un arsenal chimique, qui s’est finalement révélé inexistant. Ce cas fondateur d’une définition élargie des possibilités d’ingérences interroge sur la définition du risque, et de la menace pour la sécurité internationale évoquée dans le chapitre VII ainsi que sur les usages géopolitiques potentiels du droit humanitaire.
Suite aux événements du 11 Septembre 2001 à New-York l’idée de droit d’ingérence et en particulier les dispositions du chapitre VII ont vu leurs champs d’actions élargies et renforcées sous l’impulsion des Etats-Unis et avec le soutien d’une grande partie de la communauté internationale. Ce changement s’illustre dans les interventions menées en Afghanistan et en Irak et dans les discours du représentant Américain à l’ONU les 16 Mars et 8 Avril 2003. Discours au cours desquels le pays annonce sans détour son objectif ; le renversement du régime en place. Objectif qu’elle justifie en s’appuyant sur de supposés preuves d’un arsenal chimique, qui s’est finalement révélé inexistant. Ce cas fondateur d’une définition élargie des possibilités d’ingérences interroge sur la définition du risque, et de la menace pour la sécurité internationale évoquée dans le chapitre VII ainsi que sur les usages géopolitiques potentiels du droit humanitaire.
Avec ce glissement, la protection et l’aide
aux populations civiles locales passent au second plan. D’autant qu’une
intervention militaire, au sol ou dans les airs, qu’elles soient justifiés ou
non par des menaces sur la sécurité internationale, n’est pas sans impact sur le
conflit existant. L’étude "Armed
intervention and civilian victimization in intrastate conflicts"[1] publiée en 2012 par des chercheurs
américains pointe d’ailleurs une augmentation de 40% du nombre de victime
civiles lors de ce type d’intervention. Victimes de l’intervention elle-même et
des bombardement qui l’accompagne, mais également des acteurs locaux du conflit
qui, lorsqu’ils s’affaiblissent, emploi des tactiques de plus en plus violentes
contre les populations civiles pour essayer de conserver leur ascendant et
maintenir ainsi le paysage stratégique à leur avantage.
Ne faut-il donc pas s’interroger sur les
graves répercussions auxquelles ont conduits ces actes d’ingérence ? L’action
militaire menée par les Américains et les Russes sur le sol Européens pendant
la Seconde Guerre Mondiale peut-elle, à elle seule, justifier tous les
interventionnismes ? Celui de la CIA et de l’URSS dans leur conflit larvé au
Pakistan et en Afghanistan dans les années 80, d’un coté en armant les
moudjahidines contre l’Union Soviétique, de l’autre en tentant d’occuper le
territoire et de « soutenir » une révolution dans le pays. Contribuant
à créer les conditions de l'émergence d’Al-Quaïda et l’installation du narco
terrorisme dans la région avec les conséquences que l’on sait. Ou encore celui
des livraisons d’armes et des bombardements de la coalition en Lybie qui ont
certainement participés à la monté en puissance de l’organisation Al Quaïda au
Maghreb islamique ainsi qu’à celle des mouvements terroristes d’Afrique
centrale. Pour ne citer que des exemples récents.
Comment concilier l’idée de droit d’ingérence avec celle du principe de non ingérence et de son corollaire l’auto-détermination, tout deux consacrés par la charte de l’ONU (article 2 du paragraphe VII) ? Ou encore celle des principes énoncés dans la déclaration fondamentale du 9 Décembre 1981
intitulés " déclaration sur l’inadmissibilité de l’intervention et de
l’ingérence dans les affaires intérieurs des Etats ". Des principes déjà
ratifiés lors de l’Acte final d’Helsinki en 1975. Faut-il reproduire les erreurs
commises pendant la Guerre Froide dans chacun des camps et depuis par les
états les plus puissants? Des erreurs dont tant de peuples et de pays ont fait les
frais.
Les principes des Nations Unies, aussi
imparfait soient-ils, ne sont-ils pas fondés sur l’idée d’un pacifisme
actif ? La promotion d’une culture de la coopération, du dialogue, de la
réciprocité et d’une forme de contrainte sociale fixant des normes communes et
incitant à l’horizontalité par opposition à la logique hiérarchique verticale
de la puissance militaire ? La mise en œuvre et la création des conditions
propices à l’avènement de cette horizontalité n’est-ce pas là, l’unique forme
d’ingérence que l’on puisse promouvoir et accepter ? Dans le respect des
principes moraux auxquels se réfèrent aussi les Droits de l’Homme ?
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